Le 21 novembre 2024 se tenait le deuxième colloque organisé par Grand Paris Climat : « Rénover, pour longtemps ? Matériaux et méthodes pour une isolation durable ». Rénover, oui mais pour longtemps : faiseurs et théoriciens ont échangé durant une demi-journée sur les matériaux, les techniques, les compétences et les politiques publiques capables d’accroître la durée de vie des travaux effectués. Un enjeu à coupler impérativement à celui de l’efficacité énergétique, et qui recoupe les questions de carbone et de modèle économique.
Faire vite et faire bien
Depuis sa création en 2023, Grand Paris Climat poursuit sa feuille de route : accompagner et accélérer la rénovation du parc d’habitat privé, soit quelque 100 000 copropriétés. Un effort qui ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur le fond, à travers notamment ce deuxième colloque, organisé avec Ekopolis. Retours d’expériences, parangonnage, stratégies de politiques publiques : l’évènement, organisé à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Val-de-Seine, a permis de croiser les regards de professionnels de tous horizons, autour d’une question majeure mais sous-jacente, voire parfois oubliée.
Comment accroître la durée de vie des travaux de rénovation ? Autrement dit : comment s’assurer que ce qui est financé et mis en œuvre aujourd’hui persévère dans le temps, sans qu’il ne faille fournir à nouveau le même effort dans 10 ou 20 ans ? « Il faut aller vite, parce que nous sommes dans une situation de crise climatique », résume Jules Hebert, directeur de Grand Paris Climat, « mais nous pensons qu’il faut faire vite et bien, pour ne pas avoir à reprendre des travaux quelques années après, et décrédibiliser l’ensemble de la politique de rénovation énergétique ».
Choix des matériaux, matériaux de choix
Ekopolis, centre de ressource francilien pour l’aménagement et le bâtiment durable, témoigne à son tour par la voix de Brigitte Fernandez, sa directrice adjointe :
« La rénovation durable pose la question des matériaux. Nous prônons les matériaux bio- et géo-sourcés depuis très longtemps. »
Une question effectivement centrale lors du colloque, puisqu’elle interroge à la fois la capacité des différents matériaux à isoler efficacement, idéalement pour un coût carbone minime, et même d’autant plus minime que le matériau mis en œuvre pourra être amorti dans le temps long…
Entre autres paramètres et qualités recherchées : sa capacité à répondre à des enjeux architecturaux ou patrimoniaux (c’était l’enjeu du précédent colloque de Grand Paris Climat, en mars 2024), à satisfaire un besoin émergent en matière de confort d’été, son pouvoir de développement de filières locales, son potentiel renouvelable…
Comment dès lors faire son choix dans la vaste palette d’options à portée des décideurs, (co)propriétaires, concepteurs et accompagnateurs ? « Le bois, la paille, le chanvre, le lin ou encore la laine de mouton », cite en exemple Amélie Renaud, directrice régionale de l’Ademe Île-de-France, partenaire de l’événement.
« C’est l’analyse en cycle de vie qui doit primer. »
Puiser dans nos ressources, oui, mais lesquelles ?
Cette première question des paramètres fut au centre d’une discussion intitulée « Etat des ressources, analyse de cycle de vie, durée de vie, recyclabilité, réversibilité : quels critères pour le choix des isolants thermiques en rénovation ? »
En la matière, Dorothée Stiernon, chercheuse à l’Université Catholique de Louvain, revient sur un ouvrage essentiel, publié avec sa collègue chercheuse Sophie Trachte : Isolants Techniques en Rénovation. Véritable somme, l’ouvrage catalogue à peu près tous les matériaux disponibles, et les analyse à la lumière d’à peu près tous les critères imaginables. Une vingtaine de paramètres, allant des propriétés techniques, mécaniques ou physiques au cycle de vie en passant par la qualité de l’air intérieur permettent de hiérarchiser les matériaux isolants de toutes les familles. L’ouvrage ne vise pas à « vendre un produit miracle », s’amuse la chercheuse, mais plutôt à devenir un outil à destination des professionnels.
« L’enjeu est de faire un choix équilibré et raisonné en fonction de nombreux critères, et sur la base d’un diagnostic clair. »
Marceau Gourovitch, ingénieur et doctorant à l’ENSA de Clermont-Ferrand, zoome pour sa part sur un enjeu particulier : celui de la disponibilité des stocks, c’est-à-dire, en creux, la capacité des matériaux les plus vertueux à voir leur mise en oeuvre se massifier à l’échelle des prochaines années ou décennies. Une question qui là encore ne s’approche qu’à la lecture d’un contexte : la France, par exemple, est grande productrice de paille (1,8 millions de tonnes annuelles selon lesdonnées du chercheur), mais avec une ressource et un appareil de transformation inégalement répartis sur le territoire. Marceau Gourovitch note cependant un « très grand potentiel d’utilisation de tous les isolants biosourcés ». Selon ses estimations, dans un scénario à 250 000 logements rénovés annuel, le chanvre (en béton ou en panneau) pourrait couvrir plus de 2 fois la demande, tout comme la fibre de bois semi-rigide ; la fibre de bois rigide, elle, pourrait satisfaire à 5,7 fois la demande, et la paille, à 7 fois la demande.
Sauf que la ressource ne fait pas tout : Laurent Mouly, co-auteur d’une étude intitulée Maillons, propose de « considérer l’ensemble de la chaîne de production du bâtiment » (ressources, matériaux, techniques constructives, cadre normatif, compétences, architectures, programmes et investissement), et de raisonner à l’échelle d’un territoire – en l’occurrence, celui du bassin de la Seine, entre Île-de-France et Normandie. De l’agriculteur au promoteur, Maillons propose un recensement des ressources et produits disponibles, mais également des prototypes répondant à des enjeux spécifiques – par exemple, celui de la rénovation patrimoniale. Laurent Mouly témoigne également d’une volonté d’adosser à cette analyse des critères objectifs, notamment sur le surcoût – ou, dans le cas d’un bâtiment rénové à Brunoy, une instrumentation fine permettant de mesurer les capacités hygrothermiques du béton de chanvre.
Une affaire de compétences
Isoler, rénover énergétiquement, n’est pas qu’affaire de matériaux : c’est aussi une question de compétences à développer, et à mobiliser stratégiquement, tout au long de la chaîne de valeur. Un deuxième temps d’échanges, intitulé « Diagnostic, pose, entretien : l’importance de l’accompagnement et de la mise en œuvre pour la longévité et la durabilité de l’isolation », revenait sur cet enjeu.
Mariangel Sanchez, ingénieure suivi des innovations à l’Agence Qualité Construction (AQC), dresse à cette occasion un tour d’horizon de différentes malfaçons rencontrées sur le terrain : décollements, effondrements, dégradation des produits par les intempéries, développements fongiques, départs de feu… En réponse, elle offre quelques conseils : offrir une prescription adaptée, sur la base d’un diagnostic précis de l’existant ; protéger convenablement les chantiers et les phases de transport des matériaux ; éviter les ponts thermiques ; surveiller régulièrement en phase exploitation.
Rémi Doucet, architecte et conseiller ordinal au conseil régional de l’Ordre des Architectes en Île-de-France (CROAIF) rappelle pour sa part que sa profession est garante, non seulement de la qualité architecturale, mais également de la qualité constructive et de la durabilité des bâtiments. Transversal par essence, le métier d’architecte implique précisément d’être à l’interaction entre une maîtrise d’ouvrage, des entreprises et des fournisseurs, la puissance publique… Appelant de ses voeux la création d’un permis de rénover » (requérant donc le recours à l’architecte par opposition à la simple demande préalable), il suggère également des politiques publiques plus lisibles, et affinées pour répondre à la partie du parc immobilier le plus délicat à traiter : maisons individuelles, petites copropriétés, petits immeubles tertiaires.
Au sein de cette discussion, Séréna Delar apporte le témoignage de l’ALEC MVE, qui couvre les 22 communes du territoire d’Est Ensemble et de Paris Est Marne & Bois. En réponse à la thématique du colloque, elle détaille deux piliers de l’action de sa structure et notamment du dispositif métropolitain Pass’Réno Habitat1, qu’elle coordonne: « renforcer et visibiliser le rôle d’accompagnement des conseillers France Rénov’, et animer un réseau professionnel du cadre bâti de qualité ». Une mission de service public qui assure, dès le point de départ, un tiers de confiance neutre et indépendant, ainsi qu’un parcours personnalisé aux particuliers propriétaires, le tout dans un contexte juridique et technique mouvant. Le travail avec les professionnels, d’autre part, permet d’organiser une montée en compétence collective, mais aussi un partage de bonnes pratiques et une homogénéisation des conseils et prescriptions confiés aux professionnels.
Irène Demoute, représentante de la FFB Grand Paris Île-de-France et secrétaire de l’association Rénovactif abonde justement dans le sens d’une plus grande coopération entre acteurs professionnels de la filière. « L’information, l’accompagnement, la formation et la promotion » forment quatre axes de travail pour l’association. À son contact, les entreprises trouvent une veille législative, une veille sur l’évolution du marché une offre de formation sur plusieurs enjeux clés de la rénovation énergétique : aides financières, outils juridiques et assurantiels, audit énergétique, démarche commerciale, enjeux techniques du bâti… À la clé, la structuration d’une filière capable de répondre à la massification de l’effort en matière de rénovation.
Retours d’expérience

Alexandre Goncalves, directeur des études et du développement de ReeZOME, intervient en qualité d’AMO en accompagnement de copropriétés désireuses de se rénover. A l’interface de tous les acteurs du projet, et notamment de la maîtrise d’œuvre, il fournit une expertise précise sur les points de blocage les plus récurrents du point de vue des copropriétés : la concertation entre copropriétaires amenés à se mettre d’accord sur un programme de travaux ; une ingénierie financière indispensable démontrant la viabilité financière d’une rénovation énergétique globale, à l’appui d’une évaluation des surcoûts éventuels ; et la valorisation architecturale et l’amélioration du confort, qui forment un argument supplémentaire auprès des copropriétaires. Les exemples rapportés témoignent du succès de cet accompagnement sur-mesure et dans le détail : 58% de gains énergétiques à travers la rénovation à base de bardage biosourcé, sur une copropriété dans le 19e arrondissement de Paris. Grand Prix du jury des trophées CoachCopro 2024, l’opération affiche un reste-à-charge de 600 000 euros (soit 53 euros mensuels par logement) incluant différentes aides et financements.

Martin Quenu, responsable immobilier chez Solidarités Nouvelles pour le Logement (SNL) – Prologues, s’apprête pour sa part à entamer la rénovation d’une résidence gérée, à Ivry-sur-Seine. La pension de famille, dont le projet est conçu par Grand Huit en qualité d’architectes mandataires, juxtapose deux bâtis des années 1930 et 1950 autour d’une parcelle de jardin. Une démarche de réemploi, et donc de diagnostic approfondi de l’existant, confirme une ambition environnementale forte : « frugalité à tous les étages », objectif zéro reste-à-charge pour les pensionnaires… et autosuffisance énergétique. Un objectif facilité par le fait que le gestionnaire a à sa charge l’ensemble des fluides. Pour y parvenir, concepteurs et maître d’ouvrage misent sur la géothermie sur site et le photovoltaïque en toiture, la ventilation naturelle et la conception bioclimatique des logements, et un mix paille, fibre de bois, tissus recyclés et verre concassé recyclé pour l’isolation. Un choix de mixité des matériaux justifié par une analyse des coûts de construction, et stratégiquement réparti selon les façades.

Alexandre Govoroff, architecte (A&B Architectes) revient pour sa part sur la rénovation d’un immeuble de logements sociaux du Gai Logis – l’archétype d’un ensemble HBM, rescapé de la construction du Stade de France, et qui avait déjà « subi » une première rénovation dans les années 1980. L’isolation thermique menée à base de polystyrène à l’époque a dû être déposée. Les matériaux d’origine en façade ayant beaucoup souffert, c’est vers une nouvelle opération d’isolation thermique par l’extérieur que s’est dirigée la maîtrise d’œuvre, dans le cadre d’une opération à tiroirs. Soumise à l’autorisation de l’ABF, le projet a recours à la laine de roche pour obtenir la labellisation BBC Effinergie, compatible SNBC 2030 – soit un bond d’étiquettes substantiel, puisque les deux bâtiments sont désormais étiquetés B, contre E et F auparavant. Un travail soigneux sur les vêtures briques, enfin, permet à l’ensemble de retrouver son identité minérale d’origine. L’ensemble du projet s’insère dans des programmes de recherche menés sur le CSTB, notamment sur l’impact du vieillissement sur les matériaux de rénovation. .
En conclusion,
Véronique Pappe, directrice générale d’Ekopolis, a souligné que les matériaux biosourcés répondent très clairement à l’enjeu climatique et insisté sur leur performance en matière de confort d’été.
“Il nous faut collectivement poser la question de l’avenir de nos rénovations au regard des canicules, à l’échéance 2040-2050. De ce point de vue, la quasi-totalité du parc parisien n’est pas prêt”, estime-t-elle.
Cela justifie le recours à davantage d’accompagnement par des professionnels spécifiquement mandatés pour cela, selon Nathalie Bousquet, de la DRIEAT Ile-de- France, qui mise pour cela sur le recours au MAR (Mon accompagnateur rénov’) pour les rénovations de maisons individuelles.
Alors que nous sommes déjà très en deçà de l’ambition nécessaire en matière de rénovation énergétique pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050, Yves Contassot, président de Grand Paris Climat, conclut qu’il s’agit aussi bien ici d’une question de crédibilité : sans durabilité dans les projets de rénovation, on risque de mettre à mal l’ensemble de la filière et de l’effort collectif. Il appelle à intégrer ces éléments dans le mode de financement en proposant par exemple des bonifications spécifiques pour les projets les plus ambitieux en la matière.
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Crédits auteur
Rédacteur : Hugo Christy
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Pass’Reno Habitat
Pass’Réno Habitat est le service public de la Métropole du Grand Paris pour la rénovation énergétique de l’habitat individuel (et micro-collectif). C’est un dispositif neutre, gratuit et indépendant qui soutient les propriétaires dans leurs projets de travaux de rénovation. Il propose un accompagnement de A à Z assuré par un conseiller France Rénov’.
Grâce à sa plateforme web, Pass’Réno Habitat met les propriétaires en relation directe avec les professionnels de la rénovation, reconnus garants de l’environnement (RGE). Le site internet propose aussi des clés pour comprendre la démarche de rénovation énergétique.