Le 21 mars 2024 se tenait le premier colloque organisé par Grand Paris Climat en partenariat avec la Maison de l’Architecture Ile-de-France : “Rénovation énergétique et patrimoine architectural, comment les concilier ?”. Une question sensible pour un territoire marqué par un bâti à la fois très patrimonial et très divers, et sur lequel s’intensifie l’effort de rénovation. Comme le rappelait dans son propos liminaire Patrick Ollier, Président de la Métropole du Grand Paris, ce sont en effet à la fois les dispositifs de financement et les documents planificateurs qui montent en puissance pour rénover le bâti dense du Grand Paris.
Le mouvement est lancé
Du terrain, les Agences Locales de l’Énergie et du Climat (ALEC) font, elles aussi, remonter la transformation des politiques publiques en réelle recrudescence des efforts de rénovation. En témoigne par exemple l’explosion relative du nombre de diagnostics techniques globaux sur le territoire parisien : 1018 en 2023, soit environ 4 fois plus que l’année précédente. Dans le même temps, les 8 ALEC et Espaces Conseil France Rénov’ (ECFR) grand-parisiens se fédèrent désormais et intensifient leurs échanges sous l’impulsion de Grand Paris Climat. Une dynamique qui se heurte parfois, dans les discours ou dans les faits, à un bâti ancien parfois protégé par la puissance publique, et éminemment divers par nature : du pré-haussmanien au patrimoine moderne en passant par toutes les formes de petit patrimoine du quotidien, parfois plus humble, mais non moins aimé du grand public, ni porteur d’héritage et d’identité pour le territoire grand-parisien. Une première table ronde a permis d’échanger sur la conciliation entre, d’une part, la rénovation énergétique de ce patrimoine, c’est-à-dire sa nécessaire (et d’aucuns diraient, urgente) transformation, et, d’autre part, le respect dû à son héritage architectural. Elle réunissait Karine Bidart, Directrice générale de l’Agence Parisienne du Climat, Valérie Flicoteaux, Vice-présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes, Alexandre Labasse, Directeur général de l’APUR (Atelier parisien d’urbanisme), Olivier Lerude, Chef du Service régional de l’Architecture et des Espaces patrimoniaux à la DRAC Ile-de-France, et Angélique Sage, Responsable technique chez Effinergie.
Une rénovation nécessaire et efficace
Pour se convaincre de l’ampleur du problème, les panélistes ont d’abord rappelé les enjeux : ceux d’une crise climatique à traiter non seulement du point de vue de l’atténuation, mais aussi de l’adaptation : nous aurons un Paris à 50°C et des gens qui meurent sous les toits
, synthétise Karine Bidart, qui appelle à parler sans tabou de l’effort à fournir. Une source d’optimisme cependant : la rénovation énergétique, et certains avaient pu en douter à en juger par les données remontées d’autres pays européens, fonctionne. “À Paris, la surprise, c’est qu’on ne constate pas d’effet rebond sur les logements sociaux rénovés”, révèle Alexandre Labasse à l’issue d’une étude rapprochant les données énergétiques publiées par le Service des données et études statistiques (SDES) et les connaissances de l’APUR sur le parc immobilier. En d’autres termes : la consommation énergétique baisse nettement dans le bâti rénové : de -20% à -40% selon le type de bâti et de rénovation (la palme revient au chauffage électrique individuel), avec une moyenne des baisses située à -28%.
Un dialogue au cas par cas
Autour de la table, tous les points de vue convergent autour de quelques conditions nécessaires à réunir pour tenir des deux mains efficacité énergétique et héritage patrimonial. D’abord, celle du dialogue entre parties prenantes – concepteurs, syndics et copropriétés, financeurs, services de l’État… – Une fluidification des échanges dont ont également témoigné les porteurs de projets invités à présenter leurs réalisations, et qui était, après tout, l’objet même du colloque organisé par Grand Paris Climat. Ensuite, l’impérieux besoin de sur-mesure. “Il n’y a pas de recette toute faite, mais des solutions différentes selon les situations”, résume Valérie Flicoteaux. “Il n’y a pas de bouquet travaux miracle, mais des solutions à trouver par typologie, voire par bâtiment”, renchérit encore Olivier Lerude.
Un diagnostic partagé par Alexandre Labasse, qui souligne l’importance de ne pas raisonner en grande masse bâtie, mais de s’arrêter sur les caractéristiques précises de chaque typologie : “leur inertie, leurs matériaux, leur ventilation…”.
Normaliser pour massifier ?
Une affaire de dentelle que, de l’avis des panélistes, les DPE seuls peinent à saisir, mais qui n’empêche pas un certain niveau de normalisation : “s’il n’y a pas de recette miracle, il y a quand mêmes des typologies de bâtiments qui imposent des typologies de recettes”, ajoute le directeur de l’APUR, évoquant que “le plus dur à rénover, c’est le patrimoine le plus récent, parce que c’est celui qui a été le plus mal construit d’un point de vue climatique”. Un travail d’objectivation à la croisée de l’énergie et du patrimoine qu’a expérimenté Effinergie. Angélique Sage, responsable technique, témoigne de la difficulté de l’exercice : “sur le patrimoine, nous ne pouvions pas faire comme d’habitude et rédiger les règles techniques d’un label de façon très objective”. Sollicitant de nouveaux panels d’expertises, l’association d’intérêt général créatrice de labels évoque moins des solutions techniques, que des bonnes pratiques en matière de méthodologie.
Financer les études
La recette ne serait donc pas si compliquée : des espaces de dialogue, une connaissance fine de l’existant et de ses enjeux patrimoniaux, et un panel de solutions techniques à exploiter stratégiquement. Mais ces trois postes (ménager des temps d’échanges, enquêter sur le bâti et convoquer l’expertise capable de déterminer la bonne manière d’intervenir) représentent des coûts. Un angle mort dans le financement de la rénovation énergétique ? “Le trou dans la raquette, c’est le financement des études, et notamment des diagnostics initiaux qui permettront de mener les bons travaux” alerte Valérie Flicoteaux, qui rappelle que, tout comme les ALEC, les CAUE et les ABF jouent également un rôle impartial – une neutralité dans la prescription que l’on retrouve également dans la déontologie des architectes accompagnant les porteurs de projets.
(Dés)accords de façade?
Reste à déterminer ce qui, oui ou non, relève du patrimoine, ou de l’héritage architectural. À ce propos, la vision d’Alexandre Labasse présente l’avantage de la clarté : “le patrimoine, c’est tout ce qui est bâti”.
Néanmoins, si tout est patrimoine, tout ne fait pas cependant l’objet du même niveau de protection : “Les monuments historiques, qui ont leurs référents et leurs financements, et sur lesquels personne n’imaginerait poser d’isolation par l’extérieur ne posent pas un vrai problème”, suggère Olivier Lerude, rappelant au passage que le Ministère est également garant de la qualité architecturale… dans son ensemble, y compris donc sur le bâti non inscrit ou non protégé. Exit, donc, la controverse ? “Quand le ministère de la Culture est invité dans ce genre d’enceinte, c’est souvent pour être mis en accusation…” observait Olivier Lerude, se félicitant d’une problématique énoncée cette fois, non au travers de l’opposition entre patrimoine et rénovation, mais de la conciliation entre urgence écologique et héritage architectural. Un parti pris peut-être plus que simplement sémantique, et invitant à systématiquement trouver l’équilibre entre “deux politiques au même niveau”, du point de vue de l’État.
Lever les freins
Sur le terrain, en revanche, toutes les opérations de rénovation ne font pas consensus – y compris parfois pour leurs porteurs et leurs financeurs. “Tout n’est pas parfait, et il faut admettre un droit à l’erreur, en particulier quand les interventions sont réversibles”, propose Karine Bidart, qui mise pour sa part sur une montée en puissance des savoir-faire : si le bâti des Trente Glorieuses a quelque peu essuyé les plâtres d’une rénovation énergétique démarrant en trombe, on sait dorénavant faire bien, sur n’importe quelle typologie de bâtiment.
La directrice générale de l’Agence Parisienne du Climat esquisse quelques autres points de vigilance pour l’avenir, notamment la question de la formation et du recrutement (le défaut d’attractivité de la filière risque de faire embouteiller des projets, déjà souvent longs), ou encore des représentations : “il faut accepter l’évolution des centres urbains et assumer que la transition écologique fera évoluer le paysage de la rue”.
Au-delà des enjeux de volume, la nature même de la rénovation énergétique pourrait également être interrogée : elle qui ne prend en compte que le froid pourrait, à l’image de ce que fait la RE2020 dans le neuf, intégrer la question du confort d’été, dans une époque où les épisodes caniculaires sont appelés à se multiplier.
Conclusion
“Grand Paris Climat a une approche systémique : on ne peut plus prendre en compte une seule dimension du vivre ensemble”, résume Yves Contassot, président de l’association fédératrice des ALEC et ECFR à l’échelle de la métropole capitale, en conclusion du colloque “Rénovation énergétique et patrimoine architectural, comment les concilier ?. La complexité et l’entremêlement des sujets, en effet, ont constitué un fil rouge du colloque : sols, matière, usage, métiers, climat… Impossible, dans ces conditions, de raisonner en silo.
Impossible également de cultiver les oppositions – entre pratiques, entre chapelles, entre objectifs. Pour sortir de l’impasse, et à la lumière des débats de l’après-midi, les discours conclusifs ont ainsi appuyé, une dernière fois, sur l’impérieux besoin de dialogue entre les parties prenantes. Ces travaux ont été entamés partout en France, rappelle la présidente du Conseil Régional de l’Ordre des Architectes en Île-de-France Laurence Bertaud, pour fluidifier les échanges et harmoniser les doctrines patrimoniales. Plus d’échanges, voire, une mutation des métiers eux-mêmes : “une autre figure serait celle de l’architecte-enquêteur, de l’architecte-enquêtrice”, propose Léa Mosconi, Présidente de la Maison de l’Architecture en Île-de-France, à même “d’aborder avec intelligence des situations singulières”. Hélène Fernandez, la directrice chargée de l’architecture au ministère de la Culture, en conclusion des travaux, s’est inscrite dans la lignée de ceux-ci : « L’enjeu est de faire équipe sur ces sujets. Les défis auxquels nous avons à faire face sont des défis de cohésion. »